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2019_Michel Zaccour

Michel Zaccour
Sixième Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance décerné à Michel Zaccour (1896 – 1937) à titre posthume

Le Conseil de la Fondation Ousseimi a eu le plaisir d’attribuer son sixième Prix de la Tolérance à Michel Zaccour, à titre posthume. Le prix devait être remis à la Fondation Michel Zaccour le 30 octobre 2019 lors d’une cérémonie à Beirut, réunissant les représentants des conseils des deux fondations ainsi que leurs invités. Malheureusement la cérémonie a dû être annulée en raison de l’incertitude de la situation politique et sociale dans le pays.
La cérémonie devait être modérée par Mme Hind Darwish, ancienne déléguée du Ministère libanais de la Culture, éditrice et journaliste, les principaux intervenants étant M Olivier Vodoz, Vice-Président de la Fondation Ousseimi, M Makram Zaccour, fils de Michel Zaccour et Président de la fondation qui porte son nom et Me Alexandre Najjar, biographe de Michel Zaccour, également membre de cette fondation.
C’est finalement en date du 17 décembre 2019, lors d’une cérémonie privée, que le prix a été remis par M Khaled Ousseimi, Président–Fondateur de la Fondation Ousseimi, entre les mains de M Makram Zaccour, Président de la Fondation Michel Zaccour.
Nous publions ci-dessous les textes des allocutions préparées par M Olivier Vodoz, M Makram Zaccour et Me Alexandre Najjar.

ALLOCUTION DE M OLIVIER VODOZ, VICE-PRESIDENT DE LA FONDATION OUSSEIMI

Lorsqu’au début de ce siècle notre Fondation a souhaité développer son action en faveur d’un monde plus tolérant, elle a commencé par se donner la définition suivante de la tolérance :

« La tolérance est à la fois un état d’esprit et une attitude, qui ne prend tout son sens que dans la confrontation quotidienne avec l’Autre. La tolérance est plus que la paix (surtout si l’on définit cette dernière dans son acception minimale de « non guerre ») : c’est l’acceptation de l’Autre dans toute sa diversité, en le reconnaissant comme un égal en droits et en libertés, quels que soient son sexe, sa race, son ethnie, sa religion, ses opinions. La tolérance implique de dépasser la méfiance, les craintes et les préjugés, mais aussi l’indifférence, pour s’ouvrir à l’Autre et vivre non pas nécessairement comme lui, mais avec lui.

«Le concept même de tolérance postule qu’il existe des valeurs minimales partagées entre tous les hommes – une sorte de règle du jeu commune ou encore de cadre normatif universel, tel celui énoncé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – et, qu’en respectant l’Autre, chacun s’attend à être également reconnu pour ce qu’il est, ce qu’il fait et ce qu’il croit. »

Sur cette base, la Fondation Ousseimi a décidé, d’une part, de soutenir des projets qui lui semblaient contribuer à faire entrer cette définition dans la réalité et, d’autre part, de reconnaître ou faire connaître publiquement et concrètement des hommes, des femmes ou des institutions qui auraient effectivement apporté leur contribution à un monde plus tolérant.

Le choix du premier prix Fondation Ousseimi de la Tolérance fut facile ! En fait, il s’imposa à nous par la personnalité de Nelson Mandela, cet homme exceptionnel qui a su non seulement amener son pays à la démocratie, mais encore lui éviter un bain de sang et le chaos par son extraordinaire faculté de tolérance et de pardon. Nous lui remîmes le Prix en mains propres en avril 2004.

Après le choix de notre premier prix, la Fondation s’est décidée à donner le Prix non pas à une personne mais à un évènement, en l’occurrence le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, dont l’activité nous paraissait exemplaire. En effet, alors que tant de guerres et autres conflits trouvent leur source dans des oppositions religieuses, mettre ensemble les musiques dites « sacrées » de plusieurs religions nous paraissait un acte de tolérance fortement symbolique. Ce prix-là fut attribué en 2006.

Se posa alors la question de notre troisième prix. Et si, plutôt que de célébrer une personne vivante, nous reconnaissions plutôt les mérites d’un modèle aujourd’hui disparu mais encore valable pour notre temps ? Le sauvetage des chrétiens de Damas par l’Emir Abd el-Kader-al-Jazairy en 1860 nous donnait l’occasion en 2010 d’un anniversaire – un cent cinquantenaire ! Et la vie et les actes de cet homme fournissaient à notre époque un exemple digne d’être souligné et suivi, car 1860 ne fut pour l’Emir que l’aboutissement d’une longue vie d’ouverture et de tolérance. Lui qui – 20 ans avant Henry Dunant et la première Convention de Genève – confia la protection des prisonniers de guerre ennemis à sa propre mère, en énonçant des règles précises quant à leur protection et à leur traitement. Lui qui, musulman croyant et convaincu, encourageait le juif à aller dans sa synagogue et le chrétien dans son église, car seul comptait de ne « pas oublier Dieu ».

Quel meilleur modèle proposer à notre époque où tant d’extrémismes mettent un masque religieux pour cacher leurs mobiles politiques ? Où le contenu des grandes religions est travesti et caricaturé pour en faire une arme de conquête. Où l’homme pervertit par son fanatisme le message qu’il dit avoir reçu de Dieu. Où l’évocation sélective de la lettre du Verbe divin tue l’esprit de son message dans toutes les religions.

C’est ainsi qu’en 2010 nous décidâmes de donner, à titre posthume bien sûr, le Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance à l’Emir Abd el-Kader.

Pour son quatrième Prix de la Tolérance, la Fondation Ousseimi a décidé d’attribuer en 2014 celui-ci à une institution basée en Suisse mais à vocation et de dimension internationales qui, depuis longtemps et de façon répétée, voir systématique, a contribué à une plus grande tolérance dans notre monde à la fois multiple et divisé.

Il nous a semblé que Initiatives et Changement correspondait parfaitement à cette définition et méritait ce prix plus que quiconque dans notre pays.

La plupart des problèmes mondiaux – et leurs solutions – trouvent en effet leurs racines dans la nature humaine. La peur, la haine, l’avidité et l’indifférence perpétuent l’injustice, la pauvreté, les conflits et la destruction de l’environnement. Toutefois, il est aussi dans la nature humaine d’être empathique, courageux et créatif. Il nous faut incarner le changement que nous souhaitons. Un changement dans le monde peut provenir de chacun de nous.

Initiatives et Changement International est une organisation non-gouvernementale oeuvrant pour la paix, la réconciliation et la sécurité humaine dans le monde entier, soulignant l’importance de la responsabilité personnelle et du leadership éthique dans la construction de la confiance. Elle est active dans 60 pays.

Le cinquième Prix de la Tolérance a été attribué en 2017 à la Fondation Hirondelle, dont le but est de créer et gérer des radios locales dans les contextes de conflit, post-conflit, crise humanitaire ou de transition démocratique. Cette Fondation, dont le siège est à Lausanne, pratique un journalisme rigoureux et responsable en fournissant aux populations confrontées à de telles crises une information impartiale leur permettant de comprendre les contextes dans lesquelles elles vivent et les problèmes auxquels elles doivent faire face.

La Fondation Ousseimi a voulu ainsi saluer une œuvre véritablement unique dont l’action désintéressée, impartiale et neutre en faveur de la liberté et de la vérité dans les médias a contribué de façon décisive, dans plusieurs pays, à promouvoir un monde plus tolérant, moins haineux et plus objectif car mieux informé.

Pour son sixième Prix notre Fondation a l’honneur et la joie de remettre ici à Beyrouth le Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance 2019 à titre posthume à M. Michel Zaccour.

En effet, notre Conseil, a voulu saluer et rappeler aux générations présentes et à venir le combat d’une vie de journaliste et d’homme politique, trop brutalement stoppée, qui malgré le temps qui passe reste un modèle d’une grande actualité.

Notre décision s’est donc faite sans hésitation et à l’unanimité.

La tolérance est une vertu pour aujourd’hui et un modèle de résistance nécessaire à l’intolérable intolérance toujours hélas si active aujourd’hui.

D’autres personnalités qui vont me suivre maintenant diront mieux que je ne le saurai faire ce qui dans la vie de Michel Zaccour justifie pleinement cette attribution du Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance 2019.

ALLOCUTION DE MAKRAM ZACCOUR, PRESIDENT DE LA FONDATION MICHEL ZACCOUR

Chers amis, mesdames et messieurs,

Je vous remercie d’être avec nous ce soir et souhaite à toutes les personnes qui se sont déplacées de l’étranger pour la remise du Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance à Michel Zaccour, mon père, que je n’ai jamais connu car j’avais un an quand il est mort.

Nous habitions en dehors de Beyrouth. A la mort de Michel, mon frère et ma sœur ont été envoyés en pensionnat ; moi je suis resté jusqu’à l’âge de huit ans au village pour que ma mère ne reste pas seule, car toute la famille avait émigré. Mais les partisans de Michel Zaccour ne  l’ont jamais quittée. Ils défilaient tout le temps à la maison : Abou Joseph y côtoyait Abou Hassan. C’était là une communauté mixte, fidèle à mon père, qui jouissait d’un charisme et d’une popularité incroyables. Michel le journaliste n’était ni riche, ni issu d’une famille féodale ; il était proche du peuple et tolérant au point qu’on le qualifiait de « député des pauvres ».Dans ses écrits, il manifestait un attachement particulier au vivre-ensemble, et appelait les libanais, toutes confessions et classes confondues, à se montrer solidaires pour faire face aux dérives de la Puissance Mandataire et aux problèmes socio-économiques de leur pays.

Lors des élections de 1943 le parti qu’il avait fondé, le Destour, rencontra des problèmes pour tenir des meetings car le Mandat appuyait le Bloc National.

La dernière réunion électorale des candidats du Destour s’est tenue à Chiah et a réuni chrétiens, sunnites, chiites et druzes devant le monument de Michel Zaccour. Le jour des élections les partisans de Michel, chrétiens et musulmans, m’ont demandé de remettre les bulletins de vote aux électeurs en mémoire de Michel, et cela a bien fonctionné.

Après les élections, ce fut ma mère, Rose Zaccour, qui rapprocha Riad el Solh de Béchara el Khouri, après une visite effectuée à Riad en compagnie de Sélim Takla. Ainsi donc, même après son décès, Michel a contribué à l’alliance de ces deux grands hommes qui se sont engagés à suivre une politique indépendante ouverte sur le monde arabe.

Au nom de la famille et en mon nom, je voudrais remercier la Fondation Ousseimi pour l’hommage posthume qu’elle a bien voulu rendre à Michel Zaccour, après Nelson Mandela et Abdel-Kader el Jazairi. On dit que nul n’est prophète en son pays. Cette distinction vient rappeler à mes compatriotes l’apport de Michel Zaccour et l’importance de son combat pour la coexistence.

Je vous remercie.

ALLOCUTION DE ME ALEXANDRE NAJJAR, MEMBRE DE LA FONDATION MICHEL ZACCOUR

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Je m’adresse à vous ce soir en ma qualité de biographe de Michel Zaccour et de membre de la fondation qui porte son nom. Et je me réjouis que le Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance lui ait été décerné, car cette récompense est une reconnaissance internationale de la valeur de ce personnage qui a milité toute sa vie, en tant que journaliste et homme d’état, pour la liberté et la tolérance.

Michel Zaccour est né en 1896 à Chiah. Ayant achevé ses études primaires et secondaires, il entre en 1913 à la faculté de droit. L’année suivante, il interrompt ses études pour se consacrer au journalisme, sa passion de toujours.

Il collabore à ses débuts à plusieurs revues et journaux de Beyrouth, puis il s’installe à Damas où il devient responsable de la traduction au quotidien Al- Charq. En 1919, il rentre à Beyrouth pour devenir rédacteur d’Alhurya.

En mai 1921, avec l’appui de son frère Edmond qui avait émigré en Colombie, il fonde Al Maarad, premier journal illustré qui embrasse à la fois la politique, les arts, l’agriculture, l’éducation, l’économie, les sciences et les problèmes sociaux. Des journalistes fameux comme Michel Abou Chahla, Elias Abou Chabké, Fouad Hobeiche et Khalil Takieddine ont fait partie de son équipe de rédaction, et toutes les grandes plumes de l’époque, dont Gibran, y ont collaboré.

Le talent de Michel Zaccour, sa culture et sa foi dans la destiné du Liban lui assurent rapidement une place et une influence grandissante dans la politique du pays. Fort de l’appui de la population, aimé des musulmans et des chrétiens, il entre bientôt au Parlement où il manifeste son attachement au vivre-ensemble et son refus de l’hégémonie de la Puissance Mandataire. A son propos, Riad El-Solh déclarera un jour :

« J’ai connu mon ami Michel Zaccour dans les moments les plus difficiles, aux premières heures de l’occupation, quand le besoin poussait les gens à vendre leur conscience et leurs principes. Je l’ai connu pauvre, ne possédant rien, mais il était fier et refusait d’être vendu à quiconque. Il défendait ses principes avec conviction, loyauté et honnêteté, si bien que même ses adversaires politiques le respectaient énormément. Voilà pourquoi, croyez-moi, il mérite l’estime de tous les libanais. »

Soucieux de l’indépendance de son pays, il attaque le Haut-Commissaire qui a suspendu la constitution. Camille Chamoun dans « Crise au Moyen Orient » relate leur rencontre avec le comte Damien de Martel en ces termes :

« Une entrevue nous fut accordée par le comte de Martel ; nous nous y rendîmes : Michel Zaccour, Cheikh Farid el-Khazen et moi-même. La conversation commença par être orageuse, puis devint calme et objective lorsque nous abordâmes les points essentiels du mémorandum que nous avions préparé : le retour du Liban à la vie constitutionnelle et parlementaire, l’abolition du mandat, la reconnaissance de la souveraineté du Liban et la conclusion d’un traité d’amitié avec la France. De cette démarche date la naissance du bloc constitutionnel qui accomplit une grande œuvre, tant qu’il continua à s’inspirer des principes qui présidèrent à sa formation : l’Emir Magid Arslance, Hamid Frangié, Sabri Hamadé, Sélim Takla et Béchara el Khouri. La Constitution fut la première à être rétablie. Son retour provoqua fatalement l’élection du président de la République. »

Comme Emile Eddé rencontrait des difficultés pour former un gouvernement, c’est à Michel Zaccour, l’homme tolérant, qu’on pense pour occuper les fonctions de Ministre de l’Intérieur. Infatigable, il lance alors plusieurs chantiers de réformes dans les domaines des droits syndicaux, de la santé et des droits de la femme. Il réorganise son ministère, institue une inspection permanente touchant tous les services qui dépendent du Ministère de l’Intérieur, à Beyrouth et en province, dont il confie la charge à Rachad bey Tabbara, s’intéresse aux besoins des villages défavorisés du Liban-Sud (dont Jezzine, Bint Jbeil, Khiam, Rachaya, Hasbaya et Chebaa) qu’il visite en avril et qu’il juge « privés de tous les moyens de progrès », ce qui le conduira à adresser plusieurs notes au Conseil des Ministres pour l’inciter à améliorer les conditions de vie de la population du Sud. Il inspecte Akoura où un séisme a provoqué des éboulements et semé la panique, visite la Békaa pour porter assistance aux sinistrés suite à l’écroulement du barrage de Sarhine, écoute les doléances des chauffeurs et des bouchers, augmente les effectifs de la gendarmerie, visite les hôpitaux et les hospices et organise la coordination des municipalités et des centres d’estivage « afin que les efforts des différentes localités convergent pour former un ensemble harmonieux où tout aura été prévu et étudié.» Fidèle à la mémoire du journaliste Said Fadel Akl, pendu sous ses yeux par les Ottomans, il suit le vote par la Chambre des députés d’une loi instaurant officiellement la fête des martyrs le 6 mai. Il écrit à cet égard :

« La fête des martyrs a été instaurée pour nous rappeler que l’indépendance ne se construit qu’avec des sacrifices. Nous nous tenons devant les tombes de ces victimes qui nous sont chères et nous nous inclinons avec respect et dévotion devant leur sang qui a coulé pour la partie. »

« Nos martyrs dorment côte à côte, pêlemêle, chrétiens et musulmans sont unis dans la cérémonie du Souvenir. Puissent-ils demeurer toujours étroitement unis pour assurer l’existence, la grandeur et la gloire de la partie commune. »

Sa mort prématurée à 41 ans en 1937, six ans avant l’indépendance pour laquelle il a longtemps lutté, fut un choc pour toute la nation, mais les principes qu’il a défendus sont ceux du Pacte National qui régit encore la vie politique du Liban. « Il ne suffit pas d’être un grand homme, il faut l’être au bon moment » disait Georges Pompidou. Michel Zaccour, qui est justement récompensé aujourd’hui, a été un grand homme et il l’a été au bon moment, quand il a fallu revendiquer le droit du Liban à une constitution, prélude à l’indépendance de 1943.

Je vous remercie.